mardi 23 août 2011, par Laurent
En tant qu’amateur du Tour de France et pratiquant la petite reine (en tout bien tout honneur !), invoquer la mémoire de Pierre Chany revient à parler du grand Charles pour tout féru d’Histoire avec un grand H. Né à Langeac en 1922 (Haute-Loire, 43) et ayant répondu à l’appel de l’éternel un certain 18 juin… 1996, Pierre Chany peut être considéré comme l’un des géants de la plume journalistique sportive et plus particulièrement à la rubrique cyclisme. Ancien coursier de bon niveau (Premier Pas Dunlop), Résistant durant l’occupation allemande (FTP), puis Rédac’ Chef de la rubrique cyclisme durant 35 ans au service de notre bible à tous, L’Equipe, Pierre Chany fait partie de cette génération unique qui rassembla les Antoine Blondin, Jacques Augendre et Michel Clare. Vous savez, les fameux pensionnaires de la voiture 501 du journal L’Equipe qui suivait le Tour de France dans les années 50 et 60 ?! Depuis sa disparition, sa ville natale a souhaité lui rendre un hommage le plus durable possible en organisant une journée vélo. L’année 2011 en est la quinzième édition. Comme nombre de cyclo-sportives ont tendance à tirer leur révérence d’une année sur l’autre, pour faute de participants et de budget, et que ma moitié auvergnate ne reste pas insensible aux évènements se déroulant dans sa région, j’ai décidé de venir pointer le bout de mon guidon sur la ligne de départ de « La Pierre Chany ». Ses écrits ayant participé à mon attrait pour le vélo, il m’est apparu tout naturel que de saluer sa mémoire en venant rouler sur les routes des Gorges de l’Allier.
En ce (tôt) samedi matin du 6 août 2011, sous un ciel chargé de lourds nuages gris, c’est une petite forme qui s’annonce. Depuis le levé, sonné à 5h00, je ne ressens pas cette dynamique qui m’envahit habituellement à quelques heures d’une course. Pendant le trajet auto qui me mène à Langeac, paisible bourgade alti-ligérienne (43), je me force à croire qu’il ne s’agit que d’une mise en chauffe plus longue que prévu. Il n’en sera rien. Pas de gnac, pas d’envie, pas d’excitation particulière.
Arrivé sur les coups de 7h30, je prends le temps d’aller retirer mon dossard, le n°148, et de revêtir ma tenue de lumière aux couleurs du VCMP. Trois parcours distincts sont au choix : la Claude Séguy et ses 50 km, les deux amis et ses 110 km, La Pierre Chany et ses 150 km pour 2880 mètres de D+. Au moment de me glisser dans mon sas de départ, je constate deux paramètres qui auront leur importance sur cette édition 2011 : peu de participants sur le grand parcours (179 partants) et tous très très affutés. En regardant cette horde de rasés de près enfourchant des bestiaux de course, je me dis que l’on connaît déjà celui qui finira premier… en partant du bas !
Neuf heures sonnent au clocher de l’église. En réponse, l’heure du départ de cette quinzième édition est donnée par Madame la Maire. Un peloton compact se lance à toute allure dans les rues de cette ville provinciale, en direction d’un profil aux sept bosses comprises entre 1 et 13 kilomètres pour des pourcentages moyens entre 4 et 8%. Les jambes alertes, je me force à accrocher cette locomotive multicolore pour ne pas me retrouver solo et gruppetto. Malgré l’absence de compteur pour cause de pile en fin de vie, je devine que nous flirtons allègrement avec les 40 à l’heure. Il me faut un faux plat montant pour me rendre compte que je tape dans mes limites cardio. Un œil derrière pour avoir une idée du nombre de retardataires. Rien, ou quasi personne derrière ma roue ! En fait, les 179 partants que nous sommes forment d’un même bloc ce peloton filant à vive allure sur ces routes sinueuses et verdoyantes. Après dix kilomètres d’une chevauchée hachée par de nombreux coups de freins intempestifs, notre troupeau sur roues lève brutalement le pied. La tête de course décide de ne plus se griller et gère son effort. Menant le train, Christian Miolane, chef d’orchestre de la fort sympathique cyclo-spotive « Les Copains » d’Ambert (63). En tant que voisin, il est venu honorer par sa présence amicale ses confrères auvergnats. Peu nombreux, la course met du temps à se décanter. Première bosse en vue. C’est parti pour 5 kilomètres d’ascension pour un bon 5% de moyenne. Rien de bien violent, mais je décide de lever le pied pour ne pas me flinguer plus encore. Beaucoup me dépassent. Peu restent derrière moi. Pourtant, bien vite je reprends une dizaine de cyclos tout au long de cette montée sans difficulté. Ce qui est certain, c’est que je ne me vois pas reprendre le peloton de tête qui m’a mis 500 mètres dans la vue. Sur notre gauche, le flanc éventré d’un volcan éteint déverse une terre rouge sang. Que les carrières à ciel ouvert amochent le paysage ! Passé au sommet, ce n’est qu’une succession de courtes montées suivies de descentes techniques. J’essaie de former un groupe de 4-5 éléments, mais sans grand succès. Dans les relances ils avancent comme des avions, dans les vraies montées ils restent sur place. Personnellement, n’étant pas un adepte des montagnes russes, je préfère m’amuser dans les bosses de plusieurs kilomètres. Le reste du temps je tire la patte dès qu’il faut envoyer franco sur 100, 200 ou 300 mètres de ces « coups de cul » brefs et secs. Sur ces routes campagnardes du pays du Haut-Allier, je pense à Armand Ciccardini qui y a des attaches familiales. A ce moment je sais déjà qu’il ne faudra pas compter sur mon temps pour ramener l’Or comme le fit notre camarade du VCMP. Siaugues-Sainte-Marie s’ouvre en deux pour laisser passer notre cortège chamarré. Nombreux sont ses habitants nous encourageant. Un petit signe amical de la main pour les remercier de leur présence motivante. Nous n’avons pas parcouru 30 kilomètres que j’en ai déjà plein les pédales. Cette succession sans fin de courtes montées (é)puise notre énergie. Sans compter ce vent de face qui, par moments, fait passer les cyclos que nous sommes pour de simples statues éphémères figées sur le bitume. D’ailleurs, le premier ravito, placé proche de Bains, lointaine banlieue du Puy-en-Velay, est planté plein vent ! Nous traversons des villages endormis aux maisons de pierre de couleur sombre, preuve d’une ancienne activité volcanique. Sur notre droite, un calvaire posté sur un promontoire salue de ses trois croix immobiles les pèlerins de la petite reine que nous sommes. Tout ce qui monte devant finir par redescendre, me voilà dévalant les flancs de ces gorges assombries par la forte présence de conifères. Descente bien longue en direction de Pont d’Alleyras, point bas de notre parcours, en bordure de cette mythique rivière à saumon qu’est l’Allier. A peine le temps de passer la séparation entre le grand parcours et l’intermédiaire que nous voilà attaquant les 13 kilomètres de la montée sur Saint-Haon. Pas cent mètres de parcourus qu’une violente crampe vient meurtrir le dessous de ma cuisse gauche. Obligé de mettre pieds à terre pour une séance d’étirements, j’en profite pour tirer de ma poche arrière mon coupe-vent pour me protéger d’une subite averse. Après cinq minutes de stretching, mon Wilier se remet en route. Le charmant village d’Alleyras nous accueille au son d’un orchestre amateur et d’un ravito liquide pris à la volée entre deux jeunes demoiselles tendant chacune un gobelet d’eau fraiche. Sans jeu de mot, en voulant jeter mon verre de plastique dans une poubelle sur le bord de la route, j’ai failli m’en payer une ! Pas le temps pour ce type de partie de manivelles… une autre course m’attend ! Finalement, cette longue bosse s’avèrera bien facile. Il faut dire qu’avec un pourcentage moyen de 4%, on s’approche plus d’un long faux plat montant. Non je ne fais pas mon Jorge ou Gilles, comme vous voulez, en envoyant à 30 à l’heure ! Un pépère 17 de moyenne me suffit pour franchir cette pseudo difficulté. L’averse ne dure qu’une petite dizaine de minutes. Les mains libres, je retire mon coupe-vent pour ne pas étouffer. La température oscille entre 20 et 23°C, ce qui amène une impression de moiteur tropicale. Large lacet sur la gauche, vue dominante sur les flancs de cette montagne arverne. Une envie de Jean Ferrat. Que la montagne est belle ! Trois gaillards du Cyclo Club de Cournon d’Auvergne (63), accompagnés d’un ancien camarade du premier tiers de course, me rattrapent au moment de basculer au sommet. « Bon sang, ça fait bien 20 bornes que je n’arrive pas à te rattraper en chasse patates ! », me lance ce dernier en me poussant à m’accrocher aux wagons. Ca roule fort. Ca roule vite. Ca roule silencieux ! Nouvelle averse. Pas le temps de capoter à moins de décramponner. Un petit quart d’heure de gouttes sur nos jambes tournant comme des bielles bien huilées. Impossible pour ma pomme que de prendre le moindre relais. Mon esprit d’équipe en prend un coup. Second ravito solide sur Saint-Haon. Mon organisme me force à prendre un peu de repos et à m’alimenter en quantité. Alors que nous n’avons parcouru que 70 kilomètres, je me sens déjà las. Décidément ce n’est pas la grande forme ! L’un des bénévoles m’informe qu’après ce ravito il y aura encore de belles relances à effectuer avant d’attaquer une nouvelle franche ascension. Des membres du Cyclo Club Les Copains (Ambert, 63) trouvent le profil de cette épreuve plus ardu que celui qu’ils nous offrent sur leur célèbre cyclo-sportive du mois juillet. Là bas les montées sont franches (longues, pentues) et les coups de cul quasi inexistants. Les gars Cournon d’Auvergne redémarrent avant moi. Je ne me sens pas capable de garder leur rythme : on a plus de 25 de moyenne après 1500 mètres de dénivelé. Le bénévole avait (malheureusement) raison : c’est reparti pour un tour de manège ! Un coup en haut, un coup en bas… Qu’est-ce qu’il en prend des coups le cœur ! Traversée du village du Nouveau Monde au bas d’une longue descente technique où la moindre erreur peut vous envoyer découvrir un autre… monde ! Sur un joli pont nous traversons l’Allier. Nous sommes à Chapeauroux. Un panneau de signalisation nous annonce notre entrée dans le département de la Lozère (48). Un virage à 90° sur la droite et nous revoilà en Haute-Loire. Notre incursion en terre de Margeride n’aura pas excédée les 200 mètres. La montée sur Saint-Christophe-d’Allier, perché 7 km plus haut, s’offre à nos roues. A nouveau une crampe vient titiller l’arrière de ma cuisse gauche. Je ne comprends pas cette succession de crampes alors que je vide mes bidons. D’autres participants m’informeront qu’ils en auront eux aussi souffert. Pourquoi ? Est-ce cette moiteur présente dans l’atmosphère ? Le profil généreux en bosses et rebosses ? Je n’en sais fichtre rien. Ne dit-on pas une fois n’est pas coutume ? Arrêt étirements et en avant pour un effort à développer sur une pente moyenne de 5%. Au milieu de pins, de sapins et de champs où paîsent des vaches de race Aubrac, je reprends plaisir à pédaler. Quelques maisons esseulées viennent agrémenter ce paysage plein de solitude. Un virage plus haut je distingue un cyclo qui n’avance guère. Mon objectif sera de le rattraper. Ce que je réussirais peu avant le sommet. Un virage plus bas je devine un cyclo à mes trousses. Mon objectif sera de le laisser derrière. Ce que je ne réussirais pas puisque sur la ligne d’arrivée il me précèdera pour… 1 seconde ! Nous roulons sur un plateau au charme bien réel. De larges étendues sauvages où un troupeau de plus d’une centaine de brebis se repose. Quelques blocs granitiques sont posés ici et là dans des parcelles clôturées de barbelés, comme posés ci bas par des mains de géants. Paysage du Sud de l’Auvergne au parfum d’une méditerranée qui s’annonce par-delà les toutes proches Cévennes et Causses. Un panneau nous indique la ville de Saugues et ses 18 kilomètres. Saugues, le pays de la bête. Celle du Gévaudan. Celle dont la légende ne cesse d’alimenter les discussions d’hiver. Sur nos coursiers de carbone nous appuyons telles des bêtes hors d’haleine. Deux cyclos nous rattrapent, moi et le gaillard qui me précédait et s’est présenté à moi en tant qu’ancien Ufolep 1ère catégorie. Ils sont de Montagny (Loire, 42). Nous joignons nos efforts pour aller taquiner les 35 km/h sur ce parcours final où les plats sont presque plats et les descentes plus nombreuses que les montées. Nos rayons déchirent l’air que ceux du soleil n’ont pas réussi à franchir. Ultime ravito. Plus que trente kilomètres. Hormis deux (courtes) bosses de plus d’un kilomètre chacune, où je me fais plaisir en écrasant mes pédales avec délectation (quand on sent l’écurie !...), le reste n’est que toboggan. Une vive douleur me prend sur toute la longueur intérieure de la cuisse gauche. En pédalant avec la tête, j’évite que cette sensation de déchirure ne se transforme en crampe. Ne dit-on pas jamais deux sans trois ? Sur la toute dernière (longue) descente, j’envoie sec : le nez dans le coffre d’une vieille Xantia et suivi par deux motards de l’assistance, je ne relâche pas mon effort tout en prenant ma dose d’adrénaline sur ces bons dix kilomètres bien roulants. A combien suis-je ? 60 ? 70 à l’heure ? Plus encore ? Je n’en sais rien pour cause de compteur en congés par anticipation. Ce qui est certain, c’est que je place quatre minutes entre moi et mes deux anciens compagnons du Cyclo Club de Montagny. Un régal ! J’en connais au VCMP qui aurait fini par sortir les ailes : Frédéric et Attif. Au milieu de ce panorama campagnard où le terme paysannerie prend toute sa dimension, mes cuisses hurlent au loup. Il paraît que c’est normal par ici puisque la bête aurait été un loup. Certes, mais là je suis à nouveau à deux doigts de cramper méchant. L’acide lactique me perfore les guiboles. Une envie folle de l’évacuer en lui faisant comprendre que cette fois c’est la tête qui décide et pas lui. Une légère déception m’envahit en déchirant les derniers villages. Peu ou pas de spectateurs pour encourager les routiers qui s’offrent à eux en s’esquintant sur leurs machines à pédales. Chany n’y a pas égrené tant de pierres que ça. Même à Chanteuges, village où il vécut son enfance, pas âme qui vive. Lassé ? Blasé ? Fatigué ? Peuple d’Allier c’est aussi par votre présence que cette cyclo vivra… ou mourra ! Langeac se profile. Au loin un point roulant. Je le fixe, comme le chasseur sa proie. 500 mètres... C’est le gars qui se trouvait un virage plus bas que moi lors de notre montée sur Saint-Christophe-d’Allier. 400 mètres... Il n’aura pas pris le temps de s’arrêter au dernier ravito. 300 mètres... Les cuisses brûlent de tout leur feu au moment de passer le panneau Langeac. 200 mètres… Allée bordée de platanes nous servant de Champs Elysées. 100 mètres… Il est trop tard pour le rattraper à la régulière. 50 mètres… Longeant l’Allier, sous son arche de mise, la ligne d’arrivée annonce la fin des hostilités. Personne ou pas grand monde pour nous accueillir. Pas d’applaudissements. Pas même le temps de savourer l’instant : à peine la bande blanche franchie, des ados tendent leur pince métallique pour nous arracher notre plaque de cadre aux lettres noires sur fond blanc. Comme pour le profil de l’épreuve, celui de l’arrivée est plutôt abrupt. Un peu sur le ton du « circulez y’a (plus) rien à voir, bon vent et merci »… Dommage qu’il n’y est pas plus d’ambiance au bout de notre route. Une photo avec mon Wilier, une feuille au format A4 comme simple brevet et on pli bagage avant d’aller casser la croûte. Le lendemain matin, j’aurai le plaisir de voir ma trogne dans le journal local, L’Eveil de la Haute-Loire. Bon, je vous l’accorde, dans ce peloton immortalisé il faut quant même y regarder à deux fois avant de deviner le barbu que je suis portant maillot orange et bleu !
Cette course, organisée par le Cyclisme du Haut-Allier 43, réservée aux amateurs aguerris (la preuve au regard de mon classement en rapport avec mon niveau réel), est une bien belle épreuve offrant dans un décor de douce France un dénivelé intéressant sur des routes agréables, vallonnées et éprouvantes où les rampes nombreuses et cassantes (plus courtes que les bosses) restent juge de paix. Ici, en terre du Haut-Allier, c’est le cardio qui est sollicité sur un parcours réputé pour sa sélectivité et ses paysages.
15ème édition de La Pierre Chany
150 km – 2880 mètres D+
Dossard 148
179 partants, 167 arrivants.
155ème avec une moyenne officielle de 23,88 km/h (arrêts ravitos inclus) pour 6h16’53’’ de course. Moyenne compteur à 25 km/h (hors arrêts ravitos).
Brevet d’Argent mais bon dernier de la catégorie B, celle des 30-39 ans. Un seul Brevet de Bronze : oui le niveau était relevé !
Finalement, la plume de notre illustre journaliste de sport restera toujours plus légère que le plomb qui me sert de muscle pour faire avancer mon biclou !
Pour clôturer cet article, je ne puis m’empêcher de rendre un ultime hommage à ce grand homme de lettres en m’appuyant ici sur un autre monstre sacré de la bicyclette, Jacques Anquetil : « Ne me demandez pas de vous raconter ma course, il y a plus compétent que moi pour le faire. Le public ne retiendra pas ce qui s’est réellement passé, mais ce que l’on va en écrire ou en dire. Et moi-même j’attends de lire demain l’article de Pierre Chany dans L’Équipe pour savoir ce que j’ai fait, pourquoi et comment je l’ai fait. Comme il fait autorité, qu’il est compétent, qu’il me connaît et me comprend, sa version sera meilleure que la mienne et deviendra la mienne. »
Rien à ajouter.